D’où Robert Conquest a-t-il tiré les propos massacrants de Lénine qu’il nous rapporte ? C’est lui-même qui l’indique en note : de deux biographes de Staline… Evidemment pas n’importe lesquels puisqu’il s’agit d’adversaires acharnés du successeur de Lénine : Boris Souvarine et Isaac Deutscher.
Regardons-y d’un peu plus près encore. Pour ce qui concerne le Xème Congrès du Parti, il est affirmé que les propos prêtés ici à Lénine correspondent à ce qu’il « avait déjà déclaré aux délégués« . Il n’est pas dit qu’il s’agit de discours officiels tenus à l’occasion de telle ou telle séance du Congrès. Qui peut garantir leur authenticité ?
Ne croit-on pas que l’analyse de Lénine pouvait être d’une autre tenue que ce qui nous en est prétendument rapporté à travers cette brassée de mots injurieux ? Imagine-t-on que le Parti bolchevique aurait pu être dirigé à partir d’une telle indigence de pensée ?
La réponse est dans ce qui a été réellement dit par Lénine à l’occasion du Xème Congrès qui s’est donc déroulé du 8 au 16 mars 1921. La lecture attentive de ses propos va d’ailleurs nous permettre d’atteindre directement la situation dramatique dans laquelle se trouvait alors la jeune Union soviétique, sans qu’il fût besoin d’accabler l’impéritie de tel ou tel bolchevik.
Présentant le Rapport d’activité politique du Comité central du parti communiste (bolchevique) de Russie le 8 mars 1921, Lénine déclare :
« La démobilisation de l’armée, qu’il a fallu mettre sur pied dans un pays qui a supporté une tension inouïe, qu’il a fallu mettre sur pied après plusieurs années de guerre impérialiste ; la démobilisation de l’armée dont le transfert, vu nos moyens de transport, nous a causé des difficultés incroyables à un moment où la famine provoquée par la mauvaise récolte venait s’y ajouter ainsi que le manque de combustibles qui a paralysé dans une mesure considérable les transports, cette démobilisation, comme nous nous en rendons compte aujourd’hui, nous a imposé des tâches que nous avons très largement sous-estimées. Voilà à quoi tiennent, dans une mesure notable, les causes des crises multiples : économique, sociale, politique. » (Vladimir Ilitch Lénine, Œuvres complètes, tome 32 (décembre 1920 – août 1921), Éditions sociales 1962, pages 177-178)
Or, Lénine le souligne immédiatement :
« […] ce n’est qu’à la fin de la guerre que nous nous sommes aperçus de toute la gravité de notre ruine et de notre indigence qui nous condamnent pour longtemps à panser exclusivement nos plaies. » (Idem, page 178)
À qui la faute ? Tout simplement à la Première Guerre mondiale et aux suites que les États capitalistes d’obédience anglo-saxonne avaient décidé de donner à la Révolution bolchevique en se coalisant militairement contre le peuple russe et en envahissant, dans toute la mesure du possible, le sol de cet ancien allié qu’était la Russie.
Or, dans ce qui suit, nous constatons que Lénine ne cherche à accabler personne parmi les révolutionnaires russes :
« […] il est tout à fait naturel que lorsque après la guerre nous avons eu la possibilité d’accorder enfin une ration supérieure à la population affamée, nous n’ayons pas su fixer du premier coup la mesure voulue. Il est évident que nous aurions dû accroître modérément la ration et constituer ainsi certains stocks pour les mauvais jours qui devaient venir au printemps et qui sont venus. Or, nous ne l’avons pas fait ! » (page 180)
Ce genre d’erreur, et pour des raisons identiques, a pu jouer sur d’autres matières. C’est ce que Lénine ajoute aussitôt :
« […] nous avons commis l’erreur de répartir si largement le combustible que nous l’avons épuisé, et que nous avons abouti à la pénurie avant d’avoir tout remis normalement en marche. » (page 181)
Dommage, nous aurions pourtant bien aimé le retrouver le couteau entre les dents, rien que pour faire plaisir aux anticommunistes de tout poil qui s’attendent cependant à ce qu’il en aille ainsi pour Staline… Ils ne sont pas au bout de leurs déconvenues.
Michel J. Cuny
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