L’Introduction de la version publiée en 1990 de La Grande Terreur débute sur cette affirmation : « La « grande terreur« ne fut pas entièrement improvisée. »
Elle aura donc été, partiellement au moins, méditée. Par qui, s’inquiétera-t-on ? Dès les dernières lignes de la première page, Robert Conquest répond à cette question en convoquant Lénine lui-même. Pour l’instant, nous n’avons rien de mieux à faire que de lire ces lignes et d’y ajouter la moitié de la page suivante. Le jugement paraît immédiatement ne pouvoir qu’être sans appel. Je reprends donc ici le strict mot-à-mot :
« Après le 26 mai 1922, date de sa première attaque, Lénine, coupé de tout contact direct avec la vie politique, médita sur les failles imprévues de la révolution dont il était l’instigateur. En mars 1921, au cours du Xème Congrès du Parti, il avait déjà déclaré aux délégués : « Nous n’avons pas réussi à convaincre les masses. » Il se sentit obligé de justifier la présence de nombreux éléments de qualité douteuse au sein du Parti : « Jamais, dans l’histoire, un mouvement populaire ne s’est opéré en profondeur sans un tribut de boue, sans aventuriers ni scélérats, sans fanfarons ni braillards […]. Un parti dirigeant attire inévitablement les carriéristes. » Faisant allusion à « ce même appareil russe […] emprunté au régime tsariste et simplement recouvert d’un vernis soviétique », il constate que « l’État soviétique a de nombreuses déformations bureaucratiques ». Et peu de temps avant son attaque, il déplore « la prédominance des rancunes personnelles et de la malveillance » dans les comités chargés d’épurer le Parti.
Après sa guérison, il remarque : « Nous vivons dans un océan d’illégalités […]. Le noyau communiste manque de culture générale. » Selon lui, la culture des classes moyennes est « insignifiante, lamentable, mais néanmoins plus grande que celle de nos administrateurs responsables ». Dans le courant de l’automne, il fulmine contre la négligence et le parasitisme, et il invente des termes spéciaux pour les vantardises et les mensonges des communistes : « le com-mensonge » et la « com-vantardise ».
Pendant son absence, ses subordonnés se comportèrent avec une brutalité inadmissible. »
Et c’est alors que, dans la seconde moitié de cette même page, va paraître Joseph Staline… Les petites phrases assassines qui émaillent le propos de Robert Conquest ne peuvent, dès lors, que l’accabler, lui. Le voici aussitôt couvert du « tribut de boue » par le lecteur ou la lectrice non prévenu(e)s, rangé dans la sinistre cohorte des « aventuriers« , « scélérats« , « fanfarons« , et autres « braillards« , devenu le grand spécialiste du « com-mensonge » et de la « com-vantardise« .
Ce que synthétise sans doute cette jolie formule qui le met en scène avec l’épouse de Lénine :
« Staline tint des propos obscènes et menaçants à l’endroit de Kroupskaia. »
Michel J. Cuny
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